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Jean Allouch – Versions du fantasme, leurs effets sur l’exercice analytique et sa fin

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Texte publié sur le site de l’ALI.

Où l’homme aperçoit un tout petit peu d’ordre
il en suppose immédiatement beaucoup trop.
LICHTEMBERG

La littérature était au-dessus de la morale,
c’est maintenant la morale qui est au-dessus de la littérature.
BERNARD PIVOT

Dans la psychanalyse (son exercice, sa théorie), le fantasme a pris une place que, déjà, Sándor Ferenczi jugeait trop importante[i]. Issu en droite ligne du célèbre abandon par Freud de sa Neurotica, le fantasme a chassé au loin le traumatisme, et Ferenczi écrivit à Freud que cela ne (lui) convenait pas. Jacques Lacan a lui aussi remis à l’ordre du jour le traumatisme (inexistence « troumatisante » du rapport sexuel[ii]), ce qui n’a pas empêché que l’on persiste à porter un trop grand intérêt au fantasme.

La fausse alternative traumatisme / fantasme n’a jamais été traitée de façon résolutoire ; aussi, sans y prétendre ici, vous présenterais-je ce qui est arrivé au fantasme chez Lacan et chez certains lacaniens avant de vous proposer un autre abord du fantasme qui, lui, laisse toute sa place au « troumatisme ». Premier point : la dite « traversée du fantasme ». Viendra ensuite le fantasme vu par Lacan comme un « axiome ». Ce ménage étant fait, le troisième point mettra l’accent sur une dimension du fantasme qui a été jusque-là négligée alors même que Lacan l’avait aperçue : le fantasme vu comme une scène.

VERSIONS DU FANTASME

Ladite « traversée du fantasme »

Selon certains, une prétendue « traversée du fantasme » serait le point d’aboutissement de chaque analyse. On peut déjà se rendre compte qu’il n’en va pas ainsi chez Lacan en remarquant que, dans sa construction progressive du « graphe du désir », le  fantasme  (S/  à  a)  n’est  situé  que  comme  une  station  sur  un  parcours,  une station mise en valeur dans la version 3, inachevée, de ce graphe, bientôt supplémentée par le « graphe complet »[iii].

[i] Sándor Ferenczi, lettre à Freud du 25 décembre 1929. Il y dénonçait une pratique de l’analyse

« beaucoup trop unilatérale », « la surestimation du fantasme et la sous-estimation de la réalité traumatique » (citée par Judith Dupont dans son avant-propos au Journal clinique, Paris, Payot, 2014).

[ii] Sur la façon dont peut être reçu, sinon traité, tout au moins apprivoisé, un traumatisme, je me suis inspiré d’Imre Kertész (La Scène lacanienne et son cercle magique, Paris, Epel, 2017, p. 36 sq.).

[iii] Ces deux versions aux pages 815 et 817 des Écrits.

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