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Juliana Castro – Étranger, partout

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Texte publié sur le site de l’ALI.

Je propose une discussion à partir de deux cas cliniques où la question de l’identité, bien que de manières différentes, est posée. Michel se plaint d’être étranger, partout. Il a du mal à accepter la distance entre lui et l’autre ; alors qu’Alice, pour sa part, éprouve « se sentir comme une autre personne », sujette à l’absence de coupure et à la continuité dans l’unification à l’autre. Je souhaiterais vous soumettre l’hypothèse qu’il s’agirait chez elle de l’unité unifiante, tandis que chez Michel de l’unicité distinctive. Celui-ci a des difficultés à trouver l’index phallique par lequel il peut se faire valoir pour être reconnu, ce qui constitue un autre point que je voudrais apporter au débat. Trois signifiants donc : étranger, identité et unification.

D’une certaine façon, quand nous faisons un récit d’un cas clinique, nous sommes face à l’impossible, car quelque chose de la séance échappe inexorablement au récit. Cela se rapproche de ce à quoi nous sommes confrontés lors du passage d’une langue à l’autre dans la traduction, ou de l’oral à l’écrit dans la transcription. Il faut remarquer également que la place de l’impossible n’est pas la même dans les différentes langues et que le choix du signifiant pour rendre compte du réel a ses effets. Il s’agit ici de fragments qui ont été saisis et transformés par une autre langue, soit lors du passage au français venu du portugais, ou, comme le précisent les francophones, du brésilien — nous y reviendrons. Je commence par ce préambule, pour relever l’impossible de tout dire, dont nous verrons ensuite comment cela est en jeu chez Michel.

Michel se plaint d’être étranger où qu’il se trouve. Fils de parents de nationalités distinctes, il a vécu dans différents pays lusophones pendant son enfance jusqu’à son arrivée au Brésil avec eux. Le père lusophone a interdit à la mère de communiquer avec Michel dans sa langue maternelle à elle et a insisté pour qu’elle s’adresse à lui en portugais. « Je suis comme un chat, dont le comportement change selon le milieu. Je parle comme les personnes parlent. » Il est à noter qu’il parle le portugais brésilien parfaitement et sans accent, de telle façon qu’on le prend pour un Brésilien et qu’on ne saurait dire de quelle région du pays il est originaire. Son père est mort et sa mère a hérité de tout le patrimoine. Michel est arrivé au traitement avec la plainte qu’il n’arrivait pas à écrire sa thèse. Il parle souvent de son « besoin d’être compris », surtout dans ses relations amoureuses : il est empreint d’une espèce de quête de la communication parfaite. Chaque ratage est vécu par lui, lui qui cherche inlassablement à être accepté et aimé, comme un signe de désamour. Il associe cela à la relation avec sa mère et le fait qu’elle ne le comprend jamais, qu’elle ne s’intéresse pas à ce qu’il ressent, ce qu’il attribue à sa culture d’origine à elle. Quand il est arrivé, il avait l’habitude, avec la compagne avec qui il vivait à l’époque, d’avoir ensemble des expériences sexuelles avec d’autres partenaires. Pendant la cure, cela a été peu à peu désinvesti jusqu’à ne plus arriver. Également pendant la cure, il a financé et entrepris, avec son héritage, un voyage au pays de son père, élaborant un parcours sur la terre de ces ancêtres, le village où son père était né, a suivi ses pas. « J’ai entrepris ce parcours de collecte de mes mémoires pour les rendre un peu plus palpables. » Dernièrement, il a dit : « Je suis comme mon père, j’ai son nom à lui. »

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